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Témoignage : La mobilité électrique à Bordeaux ne date pas d’hier Rédigé par Philippe Schwoerer le 15 Fév 2022 à 06:00 0 commentaires

Mécanicien de formation en conception et fabrication mécanique, Christian Lucas a été recruté à 28 ans par la communauté urbaine de Bordeaux (CUB) en 1976. Il est le fondateur du conservatoire Mobil’Eco dont il a assuré la présidence pendant de nombreuses années.

Ce véritable pionnier de la mobilité électrique est une mémoire vivante dans le domaine. Il nous ouvre tout un pan méconnu de l’histoire de Bordeaux.

 

Une histoire qui remonte après la guerre 14-18

«  Les dirigeants politiques de l’après-guerre 14-18 connaissaient parfaitement la dépendance de la France concernant les ressources pétrolières. C’est pourquoi ils ont encouragé les énergies et carburants alternatifs de proximité, comme le gaz de charbon et l’électricité », lance Christian Lucas.

« A la suite de cela, la ville de Bordeaux s’est d’abord équipée de quelques camions à gaz. Puis 55 bennes à ordures ménagères électriques de marque Sovel ont rejoint la flotte à partir de 1938, et 5 autres vers 1950 », chiffre-t-il.

« Ces camions ont été réformés entre 1960 et 1971, remplacés par des modèles diesel. A mon arrivée en 1976, ils étaient encore très populaires dans la tête des vieux Bordelais », rapporte-t-il.

 

Les bennes à ordures diesel : une aberration

« A mon arrivée à la CUB, on m’a confié le poste de gestionnaire du parc automobile. Pour pouvoir assurer ce rôle, j’ai dû suivre une formation d’ingénieur », se rappelle Christian Lucas.

« Je m’occupais de la flotte de la collectivité. Ce qui passait par la gestion des carburants, la réforme des anciens véhicules depuis les deux-roues jusqu’aux engins de voirie et de travaux publics, l’acquisition et le déploiement des nouveaux matériels roulants à raison de 150 véhicules par an environ », complète-t-il.

« Mon directeur était alors un jeune ingénieur véritablement enthousiasmé par les vieux camions électriques qu’il avait dû réformer. En raison du mauvais rendement énergétique, des émissions polluantes et du bruit, il jugeait le camion diesel en ville comme une aberration. Il faut savoir qu’une benne diesel de 19 à 26 tonnes, exploitée pour la collecte urbaine au porte à porte, consomme entre 100 et 150 litres de gazole aux 100 kilomètres », plaide-t-il.

 

Retour programmé des camions électriques

« En 1978, ma direction a voulu aller à nouveau vers des camions électriques pour assurer la collecte des ordures ménagères sur le territoire. Ce projet, comme tout autre, a bien sûr été présenté en commissions d’élus. Seuls ces derniers avaient le pouvoir de décider », rapporte Christian Lucas.

« Pendant que je m’occupais des véhicules, un collègue électricien suivait le chantier de la station de recharge d’une puissance de 250 kW. J’ai commencé par des essais comparatifs des modèles produits par les deux constructeurs nationaux de l’époque : Semat à La Rochelle et Sita-Ponticelli à Gretz-Armainvilliers », se souvient-t-il.

« A la suite des tests, j’ai rédigé les appels d’offres dont les grandes lignes stipulaient les conditions d’acquisition des véhicules, avec une location des batteries sur 5 ans incluant leur maintenance hebdomadaire. Au final, j’ai mis en service 25 camions électriques entre 1981 et 1983, avec pas mal de difficultés », témoigne-t-il.

 

Des adaptations à apporter

« Au départ, les camions étaient tous conçus pour la collecte ouverte des ordures ménagères. Ils ont rapidement été équipés de releveurs mécaniques de poubelles, sauf 5 qui ont reçu un bras hydraulique polyvalent pour les travaux de voirie en ville. L’un d’eux bénéficiait même d’une configuration pour le dépannage. Il a été mystérieusement été volé et n’a jamais été retrouvé », détaille Christian Lucas.

« Nous avions dimensionné les batteries plomb pour que les camions puissent assurer une journée de travail. Il a fallu passer successivement, sous 96 V, de 800 à 1 100, puis 1 440 Ah », se remémore-t-il encore parfaitement.

camion électrique Bordeaux

« Une autre difficulté résidait dans la charge utile des camions électriques. Elle était de 8 tonnes pour un camion diesel 19 tonnes, mais de seulement 6 tonnes avec un 20 tonnes électrique. En outre la vitesse maxi d’exploitation de ces derniers n’était que de 28 km/h », ajoute-t-il.

 

Une solution avec l’échange rapide des batteries

« En 1990, nous étions en plein dans la deuxième crise du pétrole avec la guerre du Golfe. A ce moment-là nous avons décidé de réduire la flotte à 19 camions électriques. Pour cela, il fallait qu’ils puissent assurer quotidiennement 2 service de 8 heures. Nous avons pu relever le challenge grâce à la mise en place d’une électrostation qui permettait de permuter les 2 packs batteries en moins de 5 minutes. Chacun pesant 2,250 tonnes », révèle Christian Lucas.

« L’un de ces camions, équipé de ses 16 tonnes de matériel pour effectuer les collectes, a parcouru en une journée 951 kilomètres. C’était le 30 septembre 1997. Nous avons pu l’inclure à la collection des véhicules électriques de Mobil’Eco après sa vie à la CUB », se réjouit-il encore rétrospectivement.

« Ce principe d’échange rapide des batteries, nous l’avons également travaillé sur 3 petits utilitaires électriques Volta. Il ne fallait pas plus de 4 minutes pour remplacer les packs, grâce à une électrostation transportable. Protégé par un brevet, ce travail n’a pas eu de suite », déplore-t-il.

 

Autres direction : le volant d’inertie

« Nous avions un temps travaillé sur le développement d’un camion électrique à transmission hydraulique. Mais en raison de sa complexité technique, le projet a été abandonné après la réalisation d’un prototype. Puis nous avons réfléchi à un modèle doté d’un accumulateur cinétique d’énergie », aligne Christian Lucas.

« Il ne faut pas oublier que tous les moteurs essence et diesel sont équipés d’un volant d’inertie qui permet de lisser le couple et de réduire les vibrations. Avec ce principe, nous avions prévu qu’un camion électrique pourrait atteindre la vitesse d’un autobus périurbain, soit 70 km/h », argumente-t-il.

camion électrique Bordeaux

« En partenariat avec l’Aérospatiale et l’Université de Bordeaux à l’origine de l’idée, nous pensions exploiter un tel système pour stocker l’énergie cinétique lors des phases de décélération pour la restituer lors des accélérations. Et pour limiter les effets gyroscopiques, le diamètre du volant qui constituait le rotor d’un moteur électrique n’était que de 35 cm », explique-t-il.

 

Bénéfices du volant d’inertie

« L’usage d’un volant d’inertie devait permettre au camion de retrouver plus rapidement sa vitesse d’exploitation. Ce qui se serait fait en doublant l’autonomie du véhicule en ville. Le dimensionnement du disque de 250 kg avait été étudié pour relancer jusqu’à 4 fois le camion, de 0 à 75 km/h, sans tirer sur la batterie », met en avant Christian Lucas.

« De nombreux types de batteries ne supportent pas bien dans la durée les appels de puissance des démarrages et accélérations. Ce qui réduit très fortement l’autonomie par les perturbations électrochimiques. Ces problèmes sont éliminés avec un volant d’inertie. Grâce à lui, les batteries ne vont délivrer qu’un faible courant pour juste compenser les pertes par frottements mécaniques et aérodynamiques », poursuit-il.

« Ce projet n’a pas eu de suite. Tous les partenaires ont reçu pour instruction de la part des dirigeants politiques de cesser immédiatement toute recherche en développement au motif que nos travaux sortaient du cadre de notre mission professionnelle », conclut amèrement notre interlocuteur.

 

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